Les théories du chômage

Publié le par remy

«L’invention du chômage» (Salais, Baverez, Reynaud) est liée à l’extension du salariat. Pendant longtemps, le chômage était professionnel, réservé aux seuls salariés stabilisés, rattachés à un établissement mais n’y ayant ponctuellement pas d’emploi (Topalov). La Constitution de 1946 définit enfin le chômeur comme tout individu disponible et à la recherche d’un emploi, ce qui est le pendant de l’affirmation de la responsabilité étatique à l’égard du plein emploi. En France, il existe aujourd’hui deux sources principales pour mesurer le chômage : le chômage spontané au sens du recensement de l’INSEE et le chômage enregistré, au sens de l’ANPE.

 

L’objet de notre travail est ici de comprendre la répartition du chômage et les processus de sélectivité s’opérant sur le marché du travail, souvent au détriment des jeunes. Prenons pour point de départ la théorie économique standard. Basée sur certains postulats (homogénéité du facteur travail, parfaite information des agents, mobilité totale des facteurs de production) et arguant que chaque agent est satisfait à l’équilibre, elle  ne permet toutefois pas l’analyse de populations particulières comme les jeunes. Il faut donc prendre de la distance par rapport à ce modèle néoclassique. Son ampleur variera selon que l’on se positionne dans sa continuité : théorie du job search (I), ou en décalage : théories de la segmentation (II).

 

I. La théorie du job search : sélectivité du chômage et comportements des jeunes

 

Développée par plusieurs auteurs (Stigler, McCall), la théorie du job search se présente comme un approfondissement de la théorie néo-classique.

 

Cette théorie a cherché une explication du chômage dans la volonté des demandeurs d’emploi de mettre à profit leur temps de chômage pour trouver le meilleur emploi possible, le plus rémunérateur. Par surcroît, le coût du chômage (salaire moindre, dépenses de prospection pour trouver un emploi) serait moins lourd pour les jeunes se trouvant encore chez leurs parents. Ils seraient moins pressés d’obtenir un emploi. La sélectivité du chômage à leur encontre serait la conséquence de leurs comportements : fixation d’un « salaire de réservation » (seuil d’acceptation d’un emploi au sens de McCall) inadéquate, surévalué par rapport à la situation du marché, temps de recherche d’un travail plus long que les autres.

 

Cette théorie, fidèle à celles du chômage volontaire, est toutefois souvent en contradiction avec les pratiques des jeunes (acceptation de salaires très faibles, appréciation réaliste de leurs possibilités de rémunération…). L’ancienneté du chômage est encore connotée négativement par les employeurs. Elle est appréhendée comme l’indice d’une moindre performance et d’une certaine « inemployabilité ».

 

II. Segmentation du marché du travail et insertion des jeunes

 

La remise en cause de l’existence d’un seul marché du travail n’est pas nouvelle. Dès 1954, Kerr insistait déjà sur les règles institutionnelles qui compartimentaient les marchés du travail en parlant de « balkanisation » du marché du travail. En 1957, Becker soulignait le « goût pour la discrimination » (envers les femmes, les étrangers) des employeurs.

 

Dans les années 70, Doering et Piore développent les premières théories sur la segmentation du marché. Pour eux, il coexisterait un segment « primaire » (salaires élevés, promotion interne facile, sécurité de l’emploi assurée) et un segment « secondaire » (caractéristiques inverses à celles susdites). Ces segments, étanches, cantonneraient les travailleurs les moins qualifiés à des emplois précaires ; les plus qualifiés faisant l’objet de recrutements internes, hors marché. Pour Germe et Michon, le marché du travail fonctionnerait encore par « processus d’appel et de rejet de la main-d’œuvre ». Les théories de la segmentation sont souvent utilisées pour comprendre les formes particulières d’emploi, les conditions d’accès à l’emploi des jeunes.

 

1.      Insertion des jeunes sur les marchés du travail en Europe

En Europe, les conditions d’accès à l’emploi des débutants dépendent notamment de l’organisation des relations professionnelles et du système éducatif (Couppié et Mansuy).

 

Ainsi, quand les marchés professionnels sont dominants, l’obtention d’un titre professionnel, construit avec les partenaires sociaux, est essentielle pour trouver du travail (Danemark, Allemagne, Autriche).

 

 Quand les marchés internes sont dominants, le diplôme sert juste de filtre (Arrow) et de signalement (Spence) pour les employeurs. Dans l’attente de l’accès au segment interne, les jeunes sont au chômage ou occupent des emplois plus ou moins stables sur le marché externe (Italie, Grèce).

 

 Quand le marché du travail est ouvert, l’insertion des jeunes est d’autant plus aisée que leur niveau de formation est élevé et leurs prétentions salariales moindres. Ils sont peu touchés par le chômage de longue durée, mais leurs emplois sont très instables et leurs carrières salariales peu évolutives (bien que présentant aussi des singularités du modèle précédent, France, Royaume-Uni, Belgique, Suède peuvent être classés ici).

 

2.      Le rejet des jeunes, « outsiders » par les salariés en place « insiders »

La « théorie des insiders-outsiders » (Lindbeck et Snower)interroge la supériorité de certains salaires par rapport à la productivité du travailleur. Même si, en période de chômage, des travailleurs inoccupés (outsiders) décident de travailler pour une rémunération inférieure à celle de ceux qui sont en poste (insiders), les employeurs hésitent à les embaucher à la place des derniers car ce turn-over aurait un coût (coûts de licenciement, de recrutement, de formation). Ainsi, les insiders bénéficieraient d’une rente de situation. Ces stratégies aboutissent alors à une véritable segmentation du marché du travail.

 

 

En définitive, le "sur-chômage" des jeunes paraît notamment être dû au fonctionnement du marché du travail. Il ne semble pas y avoir de marché du travail des jeunes. L’accès à l’emploi est plutôt un « processus d’insertion » mis en évidence par le Céreq à travers ses enquêtes « Génération » ou des auteurs comme Vincens, Vernières ou Giret. Les réseaux sociaux semblent aussi peser dans l’insertion des jeunes (Granovetter).

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